Solness Le Constructeur, d’Henrik Ibsen – création 1999

Mis en scène par Olivier Chapelet

 

L’histoire

Solness, homme d’un certain âge, est un architecte au sommet de sa gloire; il mène une vie rangée aux côtés de sa femme, Aline, effacée et soumise au devoir.

Malgré sa force et sa détermination apparentes, Solness est hanté par la crainte de voir sa suprématie mise à mal par la jeunesse, et en particulier par son jeune employé talentueux, qui aspire à voler de ses propres ailes.

C’est dans ce contexte que survient Hilde, jeune elle aussi, et qui vient bousculer la vie du Constructeur en lui rappelant sa promesse, faite dix ans auparavant, de faire d’elle sa princesse et de lui construire un château. Dix ans jour pour jour après cette promesse, Hilde, maintenant âgée de vingt-deux ans, vient chercher son royaume.

 

La distribution

Halvard Solness : André Pomarat
Aline Solness : Margot Lefèvre
Hilde Wangel : Natacha Maratrat
Kaja Fosli : Hélène Hoohs
Docteur Herdal : Xavier Boulanger
Knut Brovik : Raymond Fechter
Ragnar Brovik : Rémi Brenière

Direction artistique et mise en scène : Olivier Chapelet
Assistante à la mise en scène : Peggy Naegel
Scénographie et Lumières : Pierre Diependaële
Création musicale et sonore : Olivier Fuchs
Costumes : Mechtild Baumsteiger
Direction technique : Pierre Chinellato
Construction : La Machinerie
Photo : Benoît Linder
Graphisme : Anne Thaumiaud

 

La ligne artistique

Dans « Solness le Constructeur », Ibsen pose, à l’âge de 65 ans, la question cruciale de l’engagement de l’artiste dans deux voix possibles : se réaliser dans son œuvre ou vivre une vie sentimentale harmonieuse . Non qu’il ne l’ait évoquée auparavant, mais dans cette pièce l’interrogation est particulièrement criante.
C’est parce que ma réponse à ces deux propositions se situe dans un entredeux, que la radicalité d’Ibsen me touche et m’interroge : l’amour absorberait-il des forces créatrices qui feraient défaut à l’accomplissement de l’artiste, et inversement, l’art empêcherait-il son serviteur de s’épanouir pleinement dans une relation d’amour, qu’elle soit conjugale ou filiale. Après tout, le choix s’opère-t-il en ces termes?
D’autre part, que la force de Solness (son autorité, son talent) soit proportionnelle à sa faiblesse (sa soumission vis-à-vis du destin, sa peur viscérale de la jeunesse et du vide) dresse de l’homme une image plus philosophique que partisane, et la peinture à l’identique des autres personnages prouve qu’Ibsen, en humaniste, montre finalement, avec fatalité mais humour, l’humanité dans ce qu’elle a de plus touchante : son déséquilibre, ses fractures et ses contradictions…
Enfin cette pièce, comme « Peer Gynt » d’une autre manière, ouvre la porte de la spiritualité et laisse la part belle à Dieux, aux dieux. Je n’ai pu m’empêcher, au fil de mes relectures de « Solness le Constructeur », de dresser un parallèle avec certaines tragédies antiques (Sénèque et ses « inspirateurs ») où l’homme, démuni, s’adresse aux dieux à qui, dans sa faiblesse (consciente ?…), il confère tous pouvoirs, ceux de guérir comme ceux de punir.
C’est parce que « Solness le Constructeur » aborde ces thèmes avec une acuité qui leur permet de résonner plus de cent ans après sans perdre de leur pertinence, c’est parce qu’Ibsen peint les êtres dans leurs contrastes en laissant libre cours à notre esprit critique, c’est parce qu’au fil des lignes on reste sur le fil du rêve et de la réalité, de l’humour et de l’acidité, du possible et de l’impossible que j’ai voulu m’engager dans cette aventure et tenter, avec une équipe solide, d’émouvoir et de rassembler le public, comme la pièce nous a émus, puis rassemblés.

Olivier Chapelet.

 

L’auteur

Après une enfance morose dans une famille désunie un père que la faillite a mené à l’alcoolisme et une mère tourmentée par un farouche mysticisme où elle se réfugie , Henrik Ibsen entre à seize ans dans la vie active, comme préparateur en pharmacie à Grimstad. Il poursuit néanmoins seul ses études secondaires et envisage de faire des études de médecine à Christiana (aujourd’hui Oslo). Mais il a déjà commencé à écrire. Influencé par les événements révolutionnaires de 1848, il compose son premier drame, Catilina, publié à compte d’auteur. Il s’affirme alors comme poète lyrique et national, et est sollicité en 1852 par le violoniste Olle Bull, lors de la création d’une scène nationale à Bergen, comme directeur artistique et poète attitré de ce théâtre. Un stage au théâtre de Copenhague, puis à Dresde, le familiarise avec la technique théâtrale, dont il va apprendre toutes les finesses. Il ne connaît cependant sur cette scène que des demi-échecs, à l’exception du Festin de Solhaug, bien accueilli par le public. Il épouse en 1858 Suzannah Thoresen, fille d’une romancière féministe, considérée comme la George Sand danoise, et devient conseiller artistique au théâtre de Christiana, sans toutefois réussir pleinement dans le domaine qui l’intéresse le plus, la création dramatique, représentée par des drames historiques largement inspirés par le romantisme national et les légendes nordiques (les Combattants de Helgeland ; les Prétendants à la couronne).
Déçu par l’attitude de la Norvège et de la Suède au moment où les armées prussiennes écrasent le Danemark, et enfin nanti d’une bourse qui lui permet de partir pour Rome, il quitte son pays en 1864 pour n’y revenir que vingt-sept ans plus tard. De cet exil littéraire et du choc des événements historiques, il tire une nouvelle créativité et produit coup sur coup deux œuvres exigeantes : Brand (1865) et Peer Gynt (1867). Abandonnant le romantisme de ses débuts, il aborde le drame philosophique, soutenu par la pensée de Kierkegaard sur l’individu et son épanouissement. Brand et Peer Gynt, poèmes à la fois contradictoires et complémentaires, donnent d’emblée à Ibsen la notoriété internationale qui lui a fait défaut jusqu’alors, ainsi qu’une stabilité financière qui lui permettra de continuer son œuvre en toute sécurité matérielle. Le dernier grand drame philosophique d’Ibsen sera, en 1873, Empereur et Galiléen, monumental diptyque jouant sur les contradictions du personnage principal, Julien l’Apostat, et synthétisant sa vision d’une mutation historique qu’il considère comme nécessaire, à une époque particulièrement dramatique de l’histoire européenne (1870).
Séjournant tour à tour en Allemagne, en Autriche et en Italie, Ibsen s’imprègne du tissu philosophique ambiant et passe à un genre d’écriture résolument plus moderne et réaliste, avec les drames sociaux que sont Maison de poupée (1879), les Revenants (1881) et, dans une certaine mesure, Un ennemi du peuple (1883). L’incroyable succès international de Maison de poupée, qui répond aux graves questions posées par les féministes sur la place de la femme dans la société moderne, met Ibsen au tout premier rang des auteurs de théâtre européens. Il s’intéresse aux problèmes moraux posés par l’hérédité, déjà évoqués en filigrane dans ses œuvres précédentes, et donne une place prépondérante à la psychologie dans le Canard sauvage (1884), Rosmersholm (1886), la Dame de la mer (1888) et Hedda Gabler (1890). Le prestige d’Ibsen est tel à cette époque que ses pièces sont créées presque simultanément dans les diverses capitales européennes. Désormais assuré d’une renommée mondiale, il rentre en 1891 en Norvège, où il écrit ses derniers chefs-d’œuvre, teintés d’un symbolisme que l’on pouvait déceler déjà dans les drames psychologiques : Solness le constructeur (1892), le Petit Eyolf (1894), John-Gabriel Borkman (1896) et Quand nous nous réveillerons d’entre les morts (1899). Son soixante-dixième anniversaire (1898) est célébré non seulement en Scandinavie, mais dans l’Europe entière. Représentations et éditions complètes de ses œuvres sont entreprises. Mais le créateur, chantre de l’individu, est de plus en plus solitaire et un souffle glacé traverse ses dernières pièces. Le 15 mars 1900, Ibsen est frappé d’apoplexie, il ne pourra plus écrire. À sa mort, en 1906, la Norvège lui fait des funérailles nationales.

 

Les dates

1999

Le 16 octobre au Point d’eau à Ostwald

2000

Le 15 janvier à la Maison des Arts et des Congrès à Niederbronn-Les-Bains
Le 18 janvier au Théâtre du Marché-aux-Grains à Bouxwiller
Le 22 janvier au Centre Culturel l’Albatros à Lingolsheim
Du 4 au 13 février à La Laiterie – Hall des Chars à Strasbourg

 

Articles de presse

Sur la hauteur de l’échafaudage

Olivier Chapelet et sa toute jeunecompagnie ont élevé le Solness d’Henrik Ibsen vers une modernité intelligente, qui garde au texte son intensité dramatique et dépoussière le jeu de démonstrations n’ayant plus lieu d’être.
Le thème n’est pas lié au passé, ou alors à celui seul du Constructeur qui sacrifi e sa vie sentimentale et familiale à sa carrière. Les travers d’autorité des personnages, de soumission, d’insoutenable légèreté aussi, traversent les époques, font aujourd’hui encore cette confrontation des hommes entre eux, et avec leur(s) Dieu(x). Dans sa note
d’intention, le metteur en scène annonce une lecture extérieure de cette contradiction entre amour et profession, qu’il ne veut pas faire sienne. Cette lecture précisément qui donne au spectacle une vie propre. Et permet au spectateur une égale compassion pour chacun des drames qui se jouent.
Le Solness d’Olivier Chapelet est dans la présence évidente, jamais soulignée, d’un autodidacte arrivé, pesant de son imposante stature mentale sur l’envol d’un plus jeune que lui. La présence, dans l’interprétation, d’un André Pomarat soucieux à l’extrême de laisser vivre, circuler et respirer sur scène l’ensemble des comédiens sans
jamais leur voler un effet ou une phrase. Le travail de gommage, fait de manière systématique sur l ’exposition des malheurs de chacun, la retenue et la justesse exigée par cette direction d’acteurs, mènent avec une constance remarquable au centre de la pièce.

Émotion et lumière

Peut alors surgir une princesse Hilde qui fait voler en éclats le mot devoir, accroché à la condition féminine, et met le doigt sur la faille de l’imposante stature mentale citée plus haut. Cet ange, qui fait la bête, a les traits d’une Natacha Maratrat qu’on n’avait pas osé rêver pour le rôle. La jeune femme prend la lumière, accordée par tous les autres interprètes, avec une telle inconscience et un tel respect mêlés, que
l’émotion va au-delà de l’histoire contée.
Pierre Diependaële (scénographie et lumières) fait coulisser des panneaux simples et structurels devant la toile de fond “ classique “ de la pièce. Il lui accorde ce qu’il faut d’ombre, de décalage et de beauté. Dans une démarche qui parraine, et de belle manière, le travail précis et audacieux d’Olivier Chapelet.

M.S.K. Dernières Nouvelles d’Alsace 28 octobre 1999.

 

Photos et musiques

Ecouter un extrait de la musique du spectacle

 

Soutiens

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