Il y a des anges qui dansent sur le lac, de Paul Emond – création 2009
Mis en scène par Olivier Chapelet
L’histoire
Deux ou trois choses à dire déjà sur une pièce en cours d’écriture
Un thème imposé : le deuil que l’on dépasse, la paix que l’on fait avec soi-même et avec son passé. Une pièce à écrire pour six acteurs déterminés : deux femmes, environ 37 et 34 ans ; quatre hommes, environ 58, 48, 46 et 35 ans ; autrement dit, des personnages dans la maturité. Restait à mêler à ces contraintes l’imaginaire de l’auteur et la spécificité de son écriture
La première image qui s’est imposée a été celle d’un lieu frontière. D’abord la rive d’un fleuve, remplacée très vite par celle d’un lac. Présence très physique et en même temps très mystérieuse de cette immense masse d’eau : le ciel, les arbres, les visages s’y reflètent, un double du monde y apparaît. Quelques légendes également, qui aussitôt remontent du fond de la mémoire : celle du village englouti ou celle de la dame du Lac dont le château se dresse au plus profond de l’eau. Des bois tout autour du lac. Et une grande et vieille maison isolée où se passerait l’essentiel de la pièce…
Puis, s’est présenté un premier personnage pour habiter ce lieu – son rôle serait destiné au plus âgé des acteurs : un peintre, qui poursuivrait ainsi la galerie des peintres déjà nombreux qui peuplent mes pièces et mes romans. Mais un peintre bien particulier : enfermé la plupart du temps dans son atelier, bougon, misanthrope, Francis ne pein-drait que des « marines », spécialité detableaux bien déterminée à laquelle il s’est paradoxalement voué, dirait-il, parce qu’il n’a jamais vu la mer et qu’il se refuse à la voir. Un personnage un peu grotesque, donc, tel que j’ai toujours la fâcheuse tendance de les imaginer…
Deux autres personnes vivraient avec ce peintre, dont la femme est partie depuis longtemps : Elsa, la plus jeune de ses filles, et Frédéric, un lointain cousin arrivé là il y a de nombreuses années. Abandonnée par sa mère quand celle-ci s’est tirée, Elsa vivrait au bord du lac une existence faite pour une bonne part de frustrations ; son projet secret et ardent serait d’avoir un enfant, ce à quoi elle ne parviendrait pas malgré, dans ce seul but, son passage par de nombreux bras. Quant à Frédéric, devenu très vite l’homme à tout faire de la maison, ce serait un être frustre, un peu simple ;
il serait le souffre-douleur de Francis et consacrerait une bonne partie de son temps à pêcher sur le lac…
Les trois autres personnages, ai-je imaginé peu à peu, seraient liés aux événements qui viendraient perturber la vie de la maison et donner à la pièce sa trame narrative. D’abord, le retour après vingt ans d’absence, d’Aude, la fille aînée, emmenée jadis par sa mère et dont Francis et Elsa n’auraient plus jamais eu la moindre nouvelle. Aude, accompagnée par Patrice, un être aux activités quelque peu interlopes, qu’elle présenterait comme son mari mais dont elle supporterait mal la présence. L’arrivée inopinée de ce couple rouvrirait assurément de vieilles blessures et provoquerait aussi tensions et conflits…
Puis il y aurait des événements plus farfelus et sans doute plus perturbants encore. Le père de Francis aurait disparu quand celui-ci était encore adolescent, peut-être se serait-il noyé dans le lac. Les derniers temps, le peintre verrait souvent son père lui apparaître en rêve et l’abreuver de reproches. La pièce comporterait donc des scènes oniriques où le personnage de père aurait l’âge qu’il avait lors de sa disparition, c’est-à-dire celui de l’acteur le plus jeune. Inversion plaisante que celle de ce père de 35 ans s’adressant à un fils de 58 ans…
Plus encore : le même acteur plus jeune jouerait le rôle de Yann, un homme en train de se noyer et que l’on repêcherait in extremis dans le lac. On verrait donc le peintre confronté à ce double de son père, ou son fantôme, ressorti du lac où il s’était noyé longtemps auparavant…
Du rêve à la réalité, de l’imaginaire au tangible, la frontière serait ainsi suffisamment poreuse pour que le climat de la pièce soit autant teinté d’onirisme et d’absurdité que de références apparemment plus réalistes. Autrement dit, un monde que seule une scène de théâtre pourrait faire exister…
Restait à bien agiter tous ces ingrédients et à laisser dériver ces six habitants de la maison du lac au fil de l’écriture. Restait aussi à les voir se libérer peu à peu de la part douloureuse du passé que chacun véhicule. Que Francis se refuse à voir la mer, qu’Aude soit revenue presque malgré elle vers ce père et cette sœur devenus des inconnus, qu’Elsa désire être enceinte de façon presque compulsive, que Frédéric n’ait d’autre confident que l’eau du lac, que Patrice cherche en vain qu’Aude se soucie de lui, que Yann ait voulu se suicider, tout cela n’est plus aujourd’hui le seul fait du caprice de l’auteur. Depuis que la pièce est en cours d’écriture, chacun des personnages s’est approprié ce que je lui ai donné et qui lui appartient désormais autant qu’à moi. Puisse chacun, de l’intérieur de ses propres mots et de ses propres répliques, tracer un chemin qui l’amène, peu ou prou, à trouver une forme de réconciliation avec ce qu’il est pour l’essentiel. Que cela se réalise et il n’en sera que plus évident qu’Il y a des anges qui dansent sur le lac.
Paul EMOND
Résumé de la pièce
Simon, la soixantaine, peintre de métier et spécialiste des marines, atteint sans le savoir le terme de sa vie. Par un étrange concours de circonstances, sa fille ainée revient après quinze ans d’absence dans la maison de son enfance et retrouve là un passé avec lequel chacun va se réconcilier. Se frayant un chemin parmi les cinq personnages de la pièce, entre rêve et réalité, le père de Simon ressurgit du lac dans lequel il s’était noyé quarante ans plus tôt. Et tout ce monde, dans la ronde éperdue du temps qui nous bouscule et nous apaise aussi parfois, tisse au fil des pages la toile d’un tableau de famille dans lequel chacun apportera sa touche. Pièce sur un deuil qui libère et apporte aux protagonistes le sentiment d’être passés au-delà des échecs et des rancœurs, Il y a des anges qui dansent sur le lac clôt par cette commande d’écriture à Paul Emond un cycle de trois pièces sur ce thème, mises en scène par Olivier Chapelet.
La pièce sera éditée aux Editions Lansman au cours de l’automne 2009
La distribution
Avec :
Francis Freyburger
Frédéric Solunto
Yann Siptrott
Elsa Poulie
Aude Koegler
Patrice Verdeil
Mise en scène : Olivier Chapelet
Scénographie : Emmanuelle Bischoff
Peintures : aneth
Scènes filmées : Gontran Froehly
Lumières : Gerdi Nehlig assisté de Stéphane Wolffer
Création musicale et sonore : Olivier Fuchs
Costumes : Florence Bonhert
Régie générale : Olivier Songy
Construction : La Machinerie
Diffusion : Carol Ghionda
Administration : Vinca Schiffmann
La ligne artistique
Genèse d’une production en clôture d’un cycle de trois pièces
A l’issue d’Autour de ma pierre, il ne fera pas nuit, de Fabrice Melquiot, s’est imposée la volonté de poursuivre mon parcours de metteur en scène avec la même équipe de comédiens (et des autres collaborateurs d’ailleurs), parce qu’à l’occasion de ce dernier spectacle s’étaient tissés des liens suffisamment forts pour que nous nous donnions les moyens de les faire prospérer.
Ayant toujours alterné un texte d’auteur francophone vivant et un texte du répertoire européen, j’ai donc cherché activement une pièce classique dans laquelle chacun des six comédiens aurait un rôle qui pourrait lui convenir. Nous avons lu ensemble La dame de la mer, d’Ibsen, puis Antigone, de Sophocle, dans la nouvelle traduction de Florence Dupont, mais l’étincelle ne s’est pas produite en moi.
Comme je suis à la tête d’un théâtre dans lequel j’ai donné une forte impulsion dans le domaine de l’écriture contemporaine, il m’a semblé alors logique de déroger au principe d’alternance classique/contemporain, et de m’orienter dès lors vers un auteur vivant, afin de lui passer commande d’un texte à destination des comédiens.
Le choix de Paul Emond s’est tout de suite imposé. Nous avions fait connaissance en 2000 lorsque j’étais allé timidement lui demander les droits d’Inaccessibles amours, que je montai en 2001. Puis, des liens d’amitié se sont tissés entre nous, il est venu voir mes spectacles, je suis allé voir les pièces dont il était l’auteur. Pour cette commande, j’avais besoin d’un auteur dont je me sente proche, et qui manie avec habileté l’art d’émouvoir et de faire rire. Je l’ai appelé le 6 janvier 2008, point de départ de notre nouvelle collaboration, avec pour lui une double contrainte : celle d’écrire pour une distribution imposée, avec en toile de fond la thématique du deuil que je lui imposais, afin de clore un cycle de trois pièces bâties sur ce thème. Les Troyennes abordait le deuil sous l’angle de la guerre et de la mémoire, Autour de ma pierre, il ne fera pas nuit, sous celui d’une impossibilité à dépasser la souffrance qui met les personnages en état d’être exclusivement dans l’évocation du passé. Dans Il y a des anges qui dansent sur le lac, le deuil sera au contraire celui de la libération, un deuil nécessaire et salvateur ouvrant les portes d’une liberté retrouvée.
A l’heure qu’il est, le texte est en cours d’écriture dans un aller-retour régulier entre Paul Emond et moi. Quelques extraits sont présentés dans les pages qui suivent, accompagnés d’une note d’intention de l’auteur.
Olivier Chapelet, septembre 2008.
L’auteur Paul Emond
Paul Emond. Né à Bruxelles en 1944. Licence en philologie romane à l’Université de Louvain, où il est ensuite assistant pendant quelques années. Doctorat, soutenu en 1973 avec une thèse sur les romans de Jean Cayrol (publiée sous le titre La mort dans le miroir). Il passe trois ans à Bratislava et à Prague, période décisive pour sa découverte de la littérature et du théâtre d’Europe centrale, ainsi que d’une esthétique différente de celles qu’il connaissait jusque là. A Prague, il écrit son premier roman, La Danse du fumiste. A Prague également, il rencontre Maja Polackova, avec laquelle il vivra désormais et dont la création de collages, développée jusqu’à aujourd’hui à travers de nombreuses expositions, le marquera fortement. De retour en Belgique, il travaille pendant une quinzaine d’années à Bruxelles comme attaché scientifique aux Archives et Musée de la littérature, avant de devenir chargé de cours à l’IAD (Louvain-la-Neuve), école supérieure de théâtre et de cinéma. Il écrit plusieurs romans, mais quand, en 1985, le metteur en scène Philippe Sireuil lui commande sa première pièce, il se trouve contaminé à jamais par le virus de l’écriture théâtrale. Une vingtaine de pièces représentées se succéderont, ainsi qu’autant de traductions et adaptations au théâtre de pièces étrangères, de romans ou de grands textes anciens (L’Odyssée, Tristan et Yseut, etc.) Cette activité le conduit, tant en Belgique qu’en France, à des compagnonnages artistiques avec des metteurs en scène et des acteurs aux démarches souvent très différentes, une diversité d’expériences qu’il a toujours recherchée et dont il a toujours tiré le plus grand plaisir.
Le numéro 60 (paru en 1999) de la revue Alternatives théâtrales lui a été consacré. On trouvera également un important dossier sur ses romans dans la revue Indications, février-mars 2005.
Les dates
2009
Le 13 novembre au Relais Culturel de Haguenau
Du 17 au 22 novembre au Taps Scènes Strasbourgeoises
2010
Le 3 février au Théâtre Octobre à Lomme
Le 12 février au Centre Culturel de Volvic
Le 27 février auThéâtre de la Coupole à Saint-Louis
Le 12 mars à l’Espace Grün à Cernay
Article
Sauvée des eaux
« Ce qui me fait choisir une pièce, dit Olivier Chapelet, c’est avant tout le fait qu’elle laisse entrevoir, derrière les mots, les phrases ou les répliques, autre chose que ce qui est dit : une charge émotive qui dépasse leur sens strict, et donne ainsi du recul, du relief aux situations exposées».
L’ombre des échecs et des rancoeurs
Il y a des anges qui dansent sur le lac, dernière création d’OC&CO, la compagnie du metteur en scène et directeur des Taps à Strasbourg, répond en tous points à ce cahier des charges, d’ailleurs imposé au dramaturge belge Paul Emond, à qui le texte a été spécialement commandé. Son thème, déjà, convoque des émotions et des interrogations largement partagées : la vie, la mort, la famille et tout ce qu’on en fait – ce qu’elles nous font faire, plus précisément. Dernier volet d’une trilogie sur le thème du deuil, Il y a des anges… l’aborde comme une étape nécessaire et salvatrice, ouvrant les portes à une paix retrouvée, avec soi-même et avec son passé.
Sur les rives du lac se retrouvent six personnages : Simon, peintre à l’agonie, reclus, bougon et « misanthrope certifié », Claire, sa fille cadette, et Yvan, son cousin mal-aimé ; puis Nina, sa fille aînée, actrice en perdition, qui débarque après quinze ans d’absence avec Louis, son compagnon truculent et magouilleur; et le père de Simon, enfin, ressorti des eaux du lac où il avait disparu il y a quarante ans pour hanter ses rêves, le couvrir de reproches, et se dédoubler en Gabriel, un inconnu sauvé de la noyade qui lui ressemble étrangement.
Une mise en scène pleine de nuances
Au regard d’Autour de ma pierre il ne fera pas nuit, texte cru et percutant, de Fabrice Melquiot monté par Chapelet il y a trois ans, fouillant l’âme humaine jusqu’en ses tréfonds, cette pièce-ci, créée spécifiquement pour les mêmes comédiens, peut apparaître anodine, un peu vaine même. Impression trompeuse: l’écriture onirique de Paul Emond laisse à la mise en scène pleine de nuances d’Olivier Chapelet, entre farce et nostalgie, et au jeu tout aussi riche d’acteurs complices, le soin de révéler toutes sa (ses) subtilité (s).
Dans la bâtisse fatiguée, berceau de cette famille dont tous cherchent, maladroitement et parfois inconsciemment, à raccommoder les lambeaux, et ciment de ce qui malgré tout les lie, vont se succéder bilans peu glorieux, face à soi-même ou au miroir tendu par ses proches, et confrontations cruelles, entre destins espérés et vies abîmées.
Entre les lignes s‘insinue ainsi l’émotion, chaque phrase portant le poids des souvenirs d’enfance, du fardeau laissé en héritage par les absents morts ou enfouis. Puis la lumière de la réconciliation – véritable ou fantasmée, peu importe désormais : l’ombre des échecs et des rancoeurs a disparu. Au fond du lac.
Florian Haby
Parution du19/11/2009.
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Spectacle Coproduit par la Ville de Strasbourg et le Relais Culturel de Haguenau
avec le soutien de la DRAC d’Alsace, la Région Alsace, le Conseil Général du Bas Rhin et la SPEDIDAM.