Autour de ma pierre il ne fera pas nuit, de Fabrice Melquiot – création 2007

Mis en scène par Olivier Chapelet

L’histoire

Deux frères, leur père et leur petite amie, ainsi qu’un poète en mal d’inspiration composent les personnages de la pièce.
Ivan et Dan rêvent de partir vivre en Suisse, où tout serait rendu facile par l’argent qu’ils gagnent en détroussant, dans les cimetières de Naples, les morts de leurs bijoux et de leurs dents en or. Mais un soir, ces chercheurs d’or, comme ils se définissent, rencontrent la mort en direct, celle de l’un des deux frères, apparemment assassiné par le père de la jeune morte sur laquelle ils s’acharnaient.
A partir de ce coup de feu, la pièce déroule la mosaïque de ces 21 tableaux, en jouant sur des évocations du passé et des retours au présent. On y apprend alors la douleur incessante du père des deux frères, inconsolable depuis la mort de leur mère, la naissance de leurs premiers émois sexuels, le refus violent de la maternité, l’infidélité qui blesse, les premiers pas dans la vie d’adulte quand elle est encore maquillée par l’enfance.
Un poète égaré cherchant désespérément sa muse ainsi que des « filles qui plaisantent » crée une sorte de lien entre les personnages, d’une manière aussi inattendue que l’est la juxtaposition des deux éléments de sa quête. Et puis, il y a le suicide du jeune frère cherchant la trace de son frère aîné assassiné, et leur père qui déambule dans les allées du cimetière en criant : « Dieu est mort ! ». La pièce, après beaucoup de méandres, se termine par deux départs : celui, vers le nord, du poète et celui, vers le Sud, de Dolorès, portant dans son ventre la promesse de lendemains plus beaux. La voix d’Elvis, qui aura rythmé la pièce, accompagne la chute en chantant « Can’t help falling in love ».
Derrière la noirceur apparente des faits et de l’histoire qui se construit, il y a l’écriture vive, incisive et joyeuse de Fabrice Melquiot qui manie, avec finesse, l’humour dans une langue parfois crue qui ne tombe jamais dans la vulgarité ; il fait sonner les voix de ses personnages qui, ensemble, composent un tableau poétique sonore d’une rare force. L’auteur sait nous surprendre, nous faire rire d’un moment triste et ne jamais s’appesantir sur la douleur que, par ailleurs, il met au jour de façon radicale. Au fil de son récit, il nous transporte en plein rêve, dans des espaces où l’on oscille entre le vrai et le faux. Mais la vérité n’est-elle pas justement là, à la frontière de ces deux territoires ?

 

La distribution

Avec :

Louis Bayle : Francis Freyburger
Dan Bayle : Frédéric Solunto
Ivan Bayle : Yann Siptrott
Laurie : Elsa Poulie
Dolorès : Aude Koegler
Juste : Patrice Verdeil

Direction artistique et mise en scène : Olivier Chapelet
Scénographie : Emmanuelle Bischoff
Lumières : Gerdi Nehlig
Création musicale et sonore : Olivier Fuchs
Costumes : Mechthild Freyburger
Collaboration dramaturgique : Francis Fischer
Régie générale : Olivier Songy – Christine Heimlich
Photo : Benoît Linder
Graphisme : Anne Thaumiaud
Administration : Vinca Schiffmann

 

La ligne artistique

Je suis accroché à cette pièce, agrippé à son écriture, happé par l’univers sombre qu’elle déploie et la rage de vivre qu’elle fait, malgré tout, surgir. Cette pièce est obscure et puissante : elle glisse sur le tranchant de l’émotion, elle découpe le temps, efface les limites entre la vie et la mort, le rêve et la réalité, comme si ces espaces si distants dans notre conscience
ne formaient finalement qu’un tout.
L’humanité que nous décrit Melquiot bascule dans un monde où le fils joue le rôle du père pour son propre père, le soutient et le reconnaît jusque dans sa sexualité (c’est à dire dans la plus extrême intimité), où la mort plane de tout son poids sur la jeunesse et finit par lui briser ses élans pleins de vigueur, où le temps ne distingue plus ni passé, ni présent, ni avenir, où les rêves viennent se fendre sur l’âpre dureté du réel.
Melquiot tord les sourires pour en extraire des larmes. Et c’est alors, dans le magma des émotions ainsi libérées, que nous nous reconnaissons et qu’il nous semble ressentir des pincements issus d’un lointain passé.
Il y a, dans l’écriture, la poésie accomplie d’un être sensible, la désinvolture de la jeunesse qui refuse les cadres, l’audace et la force du témoignage d’un homme de notre temps qui porte sur le monde un regard mêlant la crainte au désir.
Impossible de démêler les fils de ces scènes enchaînées. Impossible de distinguer dans l’ensemble ce qui ressort et guide la pensée, car c’est l’ensemble justement qui donne un sens à chacune des séquences.
Cette pièce est obscure (« j’ai peur de m’être trompé depuis le début » dit Ivan à Laurie, sans préciser de quelle tromperie ni de quel début il s’agit), comme le sont nos émotions dans leurs origines et dans leur déploiement. Elle est bâtie comme nos rêves, qui abolissent les frontières du réel et nous laissent, au matin, un sentiment confus de volupté sur le lit d’une indicible souffrance.

Olivier Chapelet.

 

L’auteur

Fabrice Melquiot est né en 1972 à Modane, en Savoie. Après le baccalauréat, il suit une formation d’acteur, puis travaille au sein de la compagnie des Mille fontaines, dirigée par Emmanuel Demarcy-Mota. En 1998, il écrit ses premiers textes pour enfants, dont certains sont diffusés sur France-Culture, et rompt progressivement avec son activité d’acteur. En 2002, il devient auteur associé à la Comédie de Reims et oeuvre notamment pour l’élargissement des publics. En 2003, l’Inattendu et Le diable en partage sont joués à la Comédie de Reims, puis au Théâtre de la Bastille, dans des mises en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota. En 2004, Ma vie de chandelle est créée au Théâtre de la Ville. Il est aujourd’hui l’auteur d’une quinzaine de pièces et de recueils poétiques, traduits en allemand, en espagnol et en italien. Son théâtre naît surtout de sensations éprouvées, de rencontres vécues lors de voyages. « L’un des secrets de Fabrice Melquiot est que ses pièces ne se contentent jamais d’un seul sujet. Elles sont totales, presque dans le sens d’une oeuvre d’art totale, dans la mesure où leur écriture ne se laisse pas enfermer dans les limites étroites d’un théâtre supposé réaliste. Elle sont oniriques et leurs personnages emprunts d’ingénuité».

Préface de l’éditeur.

 

Les dates

2007

Les 15 et 16 mars 2007 au Relais Culturel de Haguenau
Du 27 mars au 1er avril 2007 au Taps Scala à Strasbourg
Le 5 avril 2007 au Tanzmatten, Sélestat
Le 23 avril 2007 à la Fondation du Théâtre d’Expression FrançaiseBienne (Suisse)
Les 23 et 24 mai 2007 à l’Atelier du Rhin, Colmar
Du 23 au 28 octobre au Taps-Scènes strasbourgeoises à Strasbourg
Le 22 novembre au Théâtre de la Madeleine, à Troyes

2009

Le 29 avril au théâtre du Passage à Neuchâtel

 

Article de presse

Créée à Haguenau la saison dernière, la pièce Autour de ma pierre, il ne fera pas nuit de Fabrice Melquiot revient à l’affiche strasbourgeoise. Mise en scène subtile d’Olivier Chapelet, pour un texte riche, servi par de formidables comédiens.

Un poète dans la salle, en route vers la scène. Une voix qui résonne… Nous sommes à Naples. Peut-être. C’est la nuit, et la chaleur est suffocante dans ce cimetière où s’activent deux frères détrousseurs de cadavres. Il y a Dan, l’aîné, qui se veut dé- terminé, et Ivan, désemparé. La morte est jeune et s’appelait Eléonore, comme le révèle la pierre funéraire. Et la tombe profanée est celle d’un être qui fut vivant et aimé. Survient son père, à qui la morte manqua. Il tue Dan, et celuici manque sur le champ à sa famille à lui. Il y a là Ivan, donc, ainsi que leur père à tous les deux – Louis Bayle, dit Lullaby, improbable travelo vêtu des robes d’une défunte épouse qu’il n’a cessé de pleurer. Et il y a Laurie, fiancée d’Ivan, ainsi qu’Eléonore enceinte de Dan, que l’on porte en terre dans un cercueil d’enfant. La vie, l’amour, la mort Construit sur le fil, le texte de Fabrice Melquiot fouille l’âme humaine jusqu’au tréfonds de ses émotions, en tout ce qu’elles peuvent avoir de paradoxal, mais aussi de charnel et d’épidermique. La vie, l’amour, la mort. Et le sexe en tout cela, qui ordonne – dans tous les sens du terme – et désordonne. Les mots y sont crus, souvent ; délicats, parfois ; justes, toujours. Juste ; c’est d’ailleurs le prénom du Poète, ici interprété par Patrice Verdeil. Francis Freyburger, Frédéric Solunto, Yann Siptrott, Elsa Poulie et Aude Koegler sont les autres excellents comédiens de cette mise en scène avec finesse par Olivier Chapelet. Autour de la pierre qui structure un plateau au sol de guingois, il ne fait jamais nuit. Dressée comme une dalle funéraire, celle-ci sert d’écran-reflet aux émotions des personnages, traduites dans des couleurs ou des images abstraites mais toujours organiques et palpitantes. Echos de l’enfance, présence des morts dans le vide laissé en héritage aux vivants… Peter Pan côtoie la Faucheuse au manège de ces vingt et une scènes qui se succè- dent, dans de subtils allers-retours spatio-temporels servis par les lumières de Gerdi Nehlig et une création sonore d’Olivier Fuchs. On ne s’y perd pas en chemin, saisi par l’humanité des personnages et soutenu par la petite étincelle d’espoir qui ne veut pas ici s’éteindre. L’on rit aussi, car l’humour et la poésie y priment sur la gravité du thème. Le poète s’en ira avec une fleur à la boutonnière, comme un p’tit coquelicot à la Mouloudji. Poésie, amour et mort, mais beaucoup de vie surtout.

Véronique Leblanc Octobre 2007 Dernières Nouvelles d’Alsace

Photos

Soutiens

Spectacle co-produit par la Ville de Strasbourg, le Relais culturel de Haguenau, L’Atelier du Rhin – Centre Dramatique Régional d’Alsace et OC&CO, Compagnie de Théâtre.
Avec le soutien de la DRAC Alsace, du Conseil Régional d’Alsace, du Conseil Général du Bas-Rhin, de la Spédidam, de l’Adami et de l’Agence Culturelle d’Alsace.

 

Dossier complet au format A4

télécharger